Art Happens

Dans My Fierce Ignorant Step, Papadopoulos cherche à traiter consciemment l’influence que l’œuvre musicale monumentale « Axion Esti » de Mikis Theodorakis ainsi que la poésie d’Odysseas Elytis ont exercé sur lui, en tant que mémoire collective activée par l’écoute. Le sujet n’est pas tant la musique elle-même que le paysage commun que celle-ci évoque. Un paysage qui vit en nous, qui voyage avec nous et qui nous permet de revisiter instantanément un moment du passé qui n’est jamais vraiment passé. Tout est encore là. Ou du moins, c’est ce que l’œuvre explore : la vérité de la jeunesse, de l’élan et du courage ; une vérité qui, si nous la considérons comme fugace, pittoresque ou charmante, sera à jamais perdue – et avec elle, le sens de notre monde.

Pour le chorégraphe, l’impulsion initiale de la création de My Fierce Ignorant Step est enracinée dans les souvenirs sonores de son enfance et de sa jeunesse qu’il partage avec bon nombre de ses compatriotes ; ce sont des souvenirs collectifs liés au destin de ce pays, même si cela n’est pas toujours visible. L’œuvre résiste au conformisme par une cascade de formes, par un désir insatiable de présent, d’avenir et de passé, par un désir de vie audacieuse, laborieuse et entièrement humaine, faite de notre chair fragile et insignifiante.

L’œuvre met en évidence des qualités présentes depuis toujours dans l’œuvre de Christos Papadopoulos, mais l’accent ici change radicalement. Des thèmes et des matériaux spécifiques le préoccupent depuis le début, mais ils sont maintenant clairement discernables et parmi eux se trouve l’idée de « togetherness », le simple point de départ où la politique et l’amour semblent apparaître. C’est pourquoi les interprètes dansent ensemble dans cette œuvre.

La synchronisation de mouvements multiples se produit mais ce n’est pas le but ; nous ne dansons pas ensemble parce que nous sommes synchronisés, nous nous synchronisons parce que nous sommes ensemble. Le système qui émerge n’est pas une priorité, pas plus que la beauté d’ailleurs. Il s’agit de mécanismes qui nous permettent de nous trouver, d’exister, de nous rencontrer et de nous émerveiller de l’énergie qui naît, se multiplie, se disperse et s’offre. Il y a une valeur qui maintient les choses ensemble ici. Ce n’est pas la foi dans un système, une machine ou une astuce, mais une confiance audacieuse dans le bien.

NOTE DE CHRISTOS PAPADOPOULOS

Comment ne pas être en colère avec tout ce qui se passe autour de nous ? Comment supporter cette réalité ? La situation politique, la montée de l’extrême droite, la corruption, les guerres que nous avons fini par accepter comme une sorte de normalité politique, la destruction de l’environnement, toutes les choses que nous pensions ne jamais avoir à vivre sont là.

Dans cette sombre réalité, où les limites de la dystopie ont déjà été franchies, je me suis récemment surpris à revenir à mes années d’adolescence. Je me souviens de cette soif de vivre, de la vitesse, de la volonté inébranlable, du sentiment que tout était possible. Cette confiance intrépide dans le fait que le monde était devant nous, ouvert et nôtre, et que nous allions le vivre comme nous le voulions et le méritions.

Ce travail est ma tentative de revisiter ce sentiment. De le retrouver. Et avec lui, de retrouver cette force, cet optimisme, ce sens du « ensemble ». Je dois me rappeler qu’espérer est déjà un acte de résistance et qu’un tel courage n’était ni naïf ni désuet. Il était vrai. Et c’est toujours le cas.